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Chapeau, MontCapel !

Il est des savoir-faire qui s’apparentent à l’art et génèrent une culture particulière qui fait territoire et histoire.

C’est l’un d’eux, que nous a fait découvrir un adhérent et que nous voulons partager.

Sans se prendre la tête, laissons-nous guider à la découverte d’une région et d’une industrie, d’une histoire.

Le plus beau territoire à découvrir est sous le chapeau

Si nos pieds ont leurs « vêtements », les chaussures, notre tête n’a plus guère le sien, casquette et chapeau ne sont plus guère portés 1 de nos jours.

Il n’en a pas toujours été ainsi. La haute vallée de l’Aude, avec Esperaza comme épicentre, a fait rayonner le chapeau « made in France » dans le monde entier.

Aujourd’hui, Montcapel entend vous faire redécouvrir le chapeau, et aimer ce couvre-chef qui abrite, réchauffe et protège nos pensées les plus intimes tout en nous habillant.

L’industrie chapelière de la haute vallée de l’Aude

Comme nombre de régions françaises, la haute vallée de l’Aude fut très industrialisée. Parmi ces industries, l’industrie chapelière se répandit dans toute la vallée. Selon les documents historiques, les termes de « chapelier » ou de « fabricant de chapeau » n’apparaissent à Bugarach qu’à la fin du premier empire (1804-1815 Napoléon 1er) et à Esperaza à la fin de la Restauration qui lui succéda 2.

Balbutiante et embryonnaire au XVIIIe siècle à Bugarach 3,  elle se développa au début du XIXe siècle en venant s’installer, à partir de 1815, sur les bords de l’Aude à Esperaza, petite cité de 1 300 âmes. Outre l’eau en abondance, l’industrie chapelière avait besoin de main d’œuvre et des moyens de communication plus aisés, ce que Bugarach n’offrait pas.

Sortant d’un artisanat « végétatif, elle passa des petits ateliers familiaux, bien souvent dans les caves, aux premières fabriques puis prit un essor industriel. L’arrivée du chemin de fer en 1878 facilita et amplifia ce développement et entraîna son véritable essor.

En 1909/1910, une longue grève secoua douloureusement le milieu chapelier et l’ensemble de la ville. Les patrons ne voulurent pas satisfaire aux revendications (salaires et temps de travail) et en premier lieu, réintégration d’un ouvrier licencié. La tension monta autant avec les patrons qu’entre grévistes et non grévistes, des hussards et un régiment de dragons furent envoyés et investirent la petite cité.

Une manifestation fut violemment réprimée. Tous ressortirent fortement marqués par les évènements. Certains s’exilèrent sur Toulouse ou Paris.

Le patronat comprit la nécessité du dialogue social. Celui-ci ne fut pas exempt, parfois d’un certain paternalisme. Le développement de l’industrie chapelière n’en fut pas entravé pour autant et passa cette épreuve, et des usines furent crées dans les cités voisines. Elle connut son âge d’or entre les deux boucheries internationales (principalement la décennie 20-30). Esperaza compte alors 12 chapelleries 5 (autant de café) et atteint les 5 000 habitants (1 700 aujourd’hui).

Bien qu’Esperaza compte encore 13 fabriques en 1948 2, le chapeau passe de mode à l’aube des années cinquante. Dans les années 50/60, suite à la chute vertigineuse des commandes en provenance des État-unis, les chapeliers se regroupent alors en société.

Mais le déclin poursuit son cours et s’accentue encore avec la mondialisation à partir des années 80, pour se poursuivre tout au long de la fin du XXe siècle.

Outre Espéraza 6, deuxième centre mondial de l’industrie chapelière après Monza en Italie, la haute vallée comportait de nombreuses chapelleries à Couiza, Montazels, Quillan, Chalabre. Six mille personnes travaillaient alors du chapeau 7, y produisant quelques 300 millions de cloches et chapeaux*5.

La chapellerie de Montazels qui compta jusqu’à 600 ouvriers-ouvrières, fut la dernière chapellerie de la vallée à survivre et à passer le nouveau siècle. En mars 2018, un an après la fermeture de la ligne de chemin de fer, comme un chant du Cygne, elle ferma à son tour.

La Chapellerie de Montazels, de Canat à Montcapel

C’est en 1923, pendant l’âge d’Or que fut fondé, au bord de l’Aude, la chapellerie, originellement Canat, de Montazels.

Dans les années 50/60, les chapelleries fermant une à une, avec ses 600 ouvriers et ouvrières, elle fait déjà figure de survivante. En 1963, la manufacture de Montazels intègre la Société Française des Industries de Chapellerie  (SOFIC) 8 qui regroupe sur le site les derniers ateliers de production encore actifs et hérite des moules et des machines de l’ensemble de la vallée.

L’usine connaîtra encore des métamorphoses dont un incendie au début des années 2000 qui, heureusement n’entama pas l’outil de production (la surface en pâtira, passant de 6 000 m 2 à 4 500 m2).

Dernier rejeton, « Chapeaux de France » continua bon an mal an avec comme clients principaux l’Armée, Eurodisney et des compagnies aériennes.

Malheureusement, elle vit de son passé, aucun investissement ni stratégie de développement de l’activité ne sont mises en place.

Le départ à la retraite non anticipé du directeur, en 2018, sonne le glas de la dernière chapellerie de l’Aude.

Sa fermeture laisse sur le carreau  les 8 derniers salariés qui n’ont plus qu’à prendre le chemin de Pôle Emploi ou rejoindre le directeur en retraite pour les plus âgés.

Des entrepreneurs sont alors prêts à récupérer stock et machines pour quelques euros. Mais, malgré quelques approches, aucun n’est prêt à relancer cette activité à l’encéphalogramme plat ; il y a plus à perdre qu’à gagner et la perspective de profit est un lointain long terme si jamais il existe.

Il faut donc soit aimer le chapeau, soit vouloir sauvegarder un patrimoine, et être un peu fou pour se lancer dans une telle aventure.

Apprenant l’arrêt de la chapellerie en novembre 2018, Sonia Mielke, qui possède une maison à Montazels, héritage de ses grands-parents, supporte mal cette fermeture. Elle n’entend pas rester les bras croisés, déplorer et ne rien faire. Elle en parle d’abord à sa famille, puis nous nous rencontrons.

Je connais la région pour y être allé plusieurs fois en vacances (je viens de m’y installer), J’ai visité l’usine par le passé, mais comme elle, je ne connais rien à l’industrie chapelière.

Enfant d’ouvriers, défendant le savoir-faire traditionnel, aimant créer de l’emploi et de l’activité et ayant un appétence certaine pour les projets « impossible », « insolite » ou un peu fou, je donne mon accord pour tenter l’aventure et lui propose alors d’envisager la création d’une coopérative 9 sous forme de SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif) qui permet de réunir de nombreux acteurs autour d’un même projet. Et de cette façon arriver à entraîner la municipalité de Montazels et des habitants de Montazels et des alentours.

Après recherches, perspectives et démarches, aidé par l’Union Régionale des SCOP d’Occitanie, la SCIC Montcapel voit le jour avec 7 membres fondateurs, étrangers au monde de la Chapellerie (Aujourd’hui, Montcapel compte environ 230 coopérateurs et coopératrices issus  principalement des alentours mais aussi d’autres régions françaises et de voisins européens : Angleterre, Irlande, Allemagne).

La Chapellerie réouvre le 1er octobre 2019 avec 4 anciens salariés (8 salariés et 1 poste à pourvoir à ce jour).

La première année consiste principalement à remettre l’usine et les machines en état de marche. Les chapeaux fabriqués le sont à partir du stock de cloches restantes. Car pour fabriquer un chapeau, il faut en premier fabriquer une cloche (environ une vingtaine d’opérations), sur laquelle le chapeau sera formé puis finalisé.

La nouvelle entreprise souffre de plus de 40 ans de manque d’investissement ; c’est que ces vieilles machines, il faut non seulement savoir les remettre en état mais aussi les régler et les adapter aux rythmes des personnes.

Responsable du site, Serge Anton qui a commencé en 1983 à la Chapellerie de Montazels, maîtrise le réglage et l’entretien des machines. Outre la maîtrise du savoir-faire et de la technicité, les postes de travail demandent concentration et rigueur.

L’arrivée de Mister Covid et de ses différents confinements avec la non-ouverture du secteur de l’habillement (dit non-essentiel) ne facilite pas la tâche. Et comme nous n’avons pas de chiffres d’affaires N-1, pas d’aide ni de dédommagement possible.

Des anciens, transmettant techniques et savoirs-faire, viennent aider à former les nouvelles recrues.

Pendant la fermeture de la Chapellerie à l’été 2020, en partenariat avec la Mairie de Montazels, des visites gratuites sont organisées.

L’opération, entièrement bénévole (une vingtaine de personnes y participe) permet de découvrir un procédé de fabrication méconnu, rencontre un succès certain (environ 340 visiteurs) et permet des ventes et commandes directes de chapeaux et l’entrée de nouveaux sociétaires. 

À la demande de la Municipalité, les visites sont reconduites et étendues à l’ensemble de l’été 2021.

Des chapeaux en feutre de laine de qualité, 100% français, 100% artisanaux

Avant, un ouvrier ou une ouvrière maîtrisait son poste au bout de six mois/un an et y restait toute sa vie professionnelle. Aujourd’hui, avec 9 postes, dont deux dédiés à l’administration, la vente, et au développement commercial, les salariés se doivent d’être polyvalents.

Pour connaître à peu près tout du métier, et pouvoir en assurer la technicité et le savoir-faire, il faut compter environ 5 ans. Le réglage des machines dépend de la taille des mains de l’opérateur, de sa rapidité, mais aussi de l’humidité ambiante.

L’apprentissage des métiers de la chapellerie et de fabrication de la cloche n’existe dans aucune école, il s’apprend sur le tas. Montcapel est la dernière chapellerie française à fabriquer des cloches. Comme le disent les japonais, les salariés sont des « trésors vivants ». Montcapel est la seule chapellerie à fabriquer ses cloches. Les chapeliers et autres fabricants les achètent en Pologne, Turquie, Chine ou au Portugal.
Ainsi Montcapel demeure l’unique usine en France à produire intégralement ses chapeaux de A à Z, de la laine brute, en passant par la cloche, jusqu’au produit fini.

La technique de fabrication n’a pas changé, même si des machines sont venues suppléer certains travaux manuels comme le clochage (étirement de la cloche à la dimension requise) ou le dressage (permet de bien définir la tête et les bords).

La fabrication nécessite un nombre important d’étapes, dont une vingtaine rien que pour la cloche, élément de base indispensable à la confection du chapeau.

Sans cloche pas de chapeaux

Le processus de fabrication de la cloche, traditionnellement appelée la foule, représente les trois-quart du travail.

Tout commence par le mélange, en trois phases successives, de la laine-mère Mérinos (race de mouton à la toison très abondante à partir de laquelle on obtient de la laine très fine et chaude) aux fibres longues et souples, environ 30 % et de blousses (déchets des filatures de laine) aux fibres courtes et dures, environ 70 %.

1- cardage de la laine
1. Cardage de la laine
2- enroulage -(voile sortant de la petite carde)
2. Enroulage

Le mélange obtenu est alors cardé. Le cardage consiste à peigner finement et soigneusement la laine mélangée qui sort en voile homogène qui s’enroule sur un rouleau jusqu’à former un « matelas » (sorte de longue couette de laine).

Le matelas de laine cardée est à nouveau peigné dans une petite carde qui améliore le cardage et ressort sous forme de voile fin qui s’enroule voile par voile sous les mains expertes de l’enrouleuse sur un bicône en bois au mouvement tournant et pivotant simultanément.

3. Petite carde
3. Petite carde
4. Matelas à la sortie du cardage
4. Matelas à la sortie du cardage

La taille du voile est fonction de la cloche voulue, à chaque taille correspond un bicône, Une fois la taille voulue atteinte, l’enrouleuse, à l’aide d’une « force » (ciseau spécial qui servait à tondre les moutons), découpe un cône tout en continuant l’enroulage au rythme de la machine.

Ces cônes sont appelées « bastissage », première ébauche de la cloche. Leur poids est ensuite vérifiée (les erreurs sont rares) et, si besoin, de la laine retirée ou ajoutée. La pièce où la laine est cardé doit rester sèche, l’humidité pouvant altérer sa qualité comme le travail de la carde et de l’enroulage. Au contraire le feutrage nécessite vapeur d’eau pour pouvoir travailler les fibres de laine, l’humidité y règne donc.

Ainsi, ces deux pièces sont bien séparées et distinctes. Les « bastissages » sont ensuite feutrées en trois phases (semoussage, multi-rouleaux et foulon) qui rendra les fibres de la cloche de plus en plus serrées et entremêlées.

Au semoussage, premier feutrage, le « bastissage », soumis à la vapeur d’eau, est comprimée sur le haut du cône puis entre des plaques, celle du dessous vaporisante, celle du haut vibrante. Un tissu de lin est mis au milieu ; ce qui lui permet de rester en cloche.

5- pesage du cône
5. Pesage du cône
6- semoussage (essorage et séchage du feutre dans la fabrication du châpeau).jpg
6. Semoussage

Le « bastissage » se rétracte et prend consistance pour donner forme à ce qui deviendra une cloche. Le second feutrage consiste à les passer au travers d’un multi-rouleaux, arrosé d’eau bouillante très légèrement acidifiée pour apporter homogénéité à la fibre.

Pour obtenir une qualité adéquate, 18 passages sont nécessaires. À chaque passage, les cônes sont croisés afin que le feutrage soit parfaitement homogène. Puis vient le troisième et dernier feutrage, le foulon, qui consiste à malaxer le feutre, arrosé d’eau et d’un pouce d’acide, à l’aide de deux masses en bois qui se baissent et se lèvent alternativement en un mouvement continu.

Sortie du foulon, la cloche est « indestructible ». Le passage au multirouleaux puis le malaxage au foulons réduisent, la taille et la surface des « bastissages » (entre 15 et 20% de réduction).

Le feutrage, en trois phases successives dont il est indispensable de respecter l’ordre, agrège donc les fibres, sans filature ni tissage, en exerçant des mouvements de pression qui, sous l’action de la vapeur, densifient et donnent de la résistance au feutre de laine.

7Découpe du cône
7. Découpe du cône

Après le feutrage, vient la teinture (Montcapel utilise 50 couleurs différentes), puis l’essorage, l’arrondissement de tête (Le feutrage a rendu la tête de la cloche trop pointue), le clochage (donner à la cloche sa taille définitive),  le séchage dans une étuve, (entre 60 et 80°), le ponçage afin que la cloche soit lisse au toucher et enfin le dépoussiérage (les cloches sont « battus » par des lanières en cuir dans une machine dite « batteuse ».

Voilà, la cloche est fin prête ; elle va se reposer plusieurs semaines avant d’être travaillée pour devenir Chapeau. On peut aussi lustrer la cloche avec une peau en « chien de mer » qui confère au feutre un aspect ras, lustré, velouté ou soyeux.

De la cloche au chapeau

La cloche est donc indispensable et préalable, sur ce « bâti », le chapeau est confectionné. La taille des cloches varie selon le chapeau voulue. De la Foule (fabrication de la cloche), on passe à la phase dite d’Appropriage (fabrication du chapeau) au cours de laquelle la cloche se métamorphosera en chapeau prêt à porter.

La première étape est le formage où les cloches sont comprimées entre deux moules 10 en aluminium chauffé à 110° (un moule « mâle » et un moule « femelle ») pour donner forme au chapeau. Si l’on souhaite donner une forme dure au chapeau, on passe sur la cloche un « apprêt », sorte de résine pulvérisée qui solidifie en partie ou en totalité le feutre selon le modèle requis.

Moules
Moules

Une fois le chapeau formé, vient le dressage qui définit la taille de la tête et des bords, le rognage (on découpe la partie du feutre en trop), le matriçage (pour des formes spécifiques aux bords du chapeau), le piquage et le garnissage (opérations de couture).

Enfin le chapeau est nettoyé de toutes les petites poussières qui peuvent rester des différentes manipulations au moyen d’une soufflette et d’une brosse. Il est alors fin prêt à être expédier dans un emballage carton spécifique (il est protégé par une collerette en mousse qui entoure sa tête) ou à être mis en vente dans la boutique de la Chapellerie.

Montcapel : un projet qui se veut porteur l’avenir

Économiquement Montcapel développe trois marchés principaux :

  • la vente de cloches à des chapeliers ou modistes ;
  • la vente des chapeaux finis pour des clients ou directement sur site à Montcapel ;
  • la sous-traitance de chapeaux finis commercialisés sous la marque du client, les chapeaux semi-finis pour des chapeliers ou des modistes.

Montcapel, né pour maintenir, développer et transmettre un savoir-faire traditionnel unique en France tout en contribuant à la revalorisation d’un territoire au tissu industriel sinistré, n’équilibre pas encore ses comptes et doit encore réparer ou maintenir en état des machines. Pour arriver à l’équilibre économique indispensable à sa survie, outre de nouveaux clients, elle s’emploie à améliorer sa productivité, la créativité et le savoir-faire des salariés.

Pour la jeune entreprise, le chapeau, outre un savoir-faire, est aussi une passion. Reprenant la voie laissé par les anciens, elle n’entend pas être un musée vivant, mais montrer que le Chapeau sur les bords de l’Aude, s’il a un riche passé, a aussi un avenir.

Non, le chapeau n’est pas mort !

 

Côté boutique
Côté boutique

Philippe Durand

Montcapel : 2, avenue de la Gare – 11190 Montazels
info@montcapel.com – www.montcapel.com – Facebook/Instagram : MontCapel
Mont : Montazels – Capel : chapeau en occitan

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